Il était une fois...
« Tu peux me passer le sel Laëtitia ? » Mon père, de sa voix imposante, regarde ma mère, comme s’il faisait un effort considérable pour lui adresser la parole, du haut de mes 8 ans, je ne comprenais pas vraiment pourquoi il était comme ça, je sentais qu’un truc clochait mais quand il avait l’air énervé, autant resté la tête basse pour éviter de s’en prendre plein la tête. Mais j’avais déjà envie de sortir de table alors que nous venions à peine d’entamer le plat principal. Ma mère prit le sel et le lui donna.
« Un simple s’il te plaît n’aurait pas été de trop. Tu devrais montrer le bon exemple à ton fils David. » Rien que le fait qu’elle me cite, me gêne pour je ne sais quelle raison, je ne veux pas que mon père s’oblige à faire quoique ce soit pour me montrer le bon exemple, je sais qu’il est un bon papa, il me l’a déjà prouvé à mainte reprise.
« Peut-être que tu devrais déjà arrêter d’aller à la plage et t’occuper plus de ton fils, il parait qu’en cette période de l’année, les poissons se faufilent n’importe où pour satisfaire leur faim. » Je n’ai pas compris la comparaison sur le coup, mais cela fait un bon moment que mes parents se prennent la tête, et même s’ils se retiennent devant moi, je les entends dans mon lit alors qu’ils se hurlent dessus dans le salon. Et quand je me lève pour aller voir discrètement, mon père finit toujours par dormir sur le canapé. Je ne sais pas ce qui se passe, mais je n’aime pas ça. Je regarde donc mon assiette et n’y touche pas vraiment, mon père me regarde.
« Tu n’as pas faim Paul ? » Je pose mon regard sur lui et fait non de la tête.
« Non, je peux aller jouer dans ma chambre ? » Il me regarde d’un air désolé et fait oui de la tête, je me retire donc, et va dans ma chambre ou les cris retentissent déjà…
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En classe je regarde le tableau et commence sérieusement à trouver le temps long et inutile, je ne suis pas du genre à être le premier de la classe, même si mes parents m’ont toujours poussé aux études, mais là je déteste cette matière. A quoi peuvent bien nous servir les maths ? Strictement à rien du tout puisque d’après ce que j’ai pu voir mon père ne s’en sert jamais pour son métier, ni les autres d’ailleurs à moins d’être un scientifique expérimenté. C’est donc dans ma salle de classe, au lycée que je pense tout bonnement perdre un temps considérable alors que je pourrais être ailleurs. Je regarde mon meilleur ami, assis à côté de moi et lorsque je remarque qu’il me tend discrètement une feuille de papier, je la prends.
« Il y a une fête ce soir tu viendras ? » Si je venais ? Bien sûr que oui, mon père refusera surement mais ce n’est pas la peine qu’il le sache non ? De plus, ma mère ne vivait plus chez nous depuis un bon moment alors, et ils s’étaient mis d’accord pour que mon père ait la garde exclusif tandis qu’elle me verrait pendant les vacances et quelques week-end.
« Bien sûr que je viens. Tu y vas avec quelqu’un toi ? » Je lui réponds et lui repasse le mot. Il me fit un sourire un peu coquin en le lisant et me montre d’un léger hochement de tête notre professeur. Je me mis à chuchoter.
« Sérieux ? Tu risquerais de lui casser les os tellement elle est vieille » « L’amour est aveugle » Je me mets à rire doucement, essayant d’être discret pour que personne ne remarque rien mais je crois que c’était peine perdu.
« Monsieur Lacroix ? » Mon cœur fit un bond dans ma poitrine et je relève la tête pour regarder ma prof, tentant de paraître le plus naturel possible.
« Oui madame ? » Je n’avais pas remarqué qu’une personne se tenait à côté d’elle, une personne que je reconnaissais que trop bien. Ma tante se trouvait là, un visage marqué par le chagrin, ce qui me fit l’effet d’un électrochoc.
« Prenez vos affaires, vous pouvez disposer avec votre tante. » Je regarde mon pote, qui lui non plus ne comprend rien à la situation, mais je m’exécute sans trop tarder.
Une fois en dehors de la classe, je suis ma tante dans les couloirs. Elle ne parle pas et moi, je me retrouve à me demander ce qui se passe et aimerait bien avoir une réponse clair et précise.
« Alice ? Qu’est ce qui se passe ? Il est arrivé quelque chose de grave ? » Elle ne me regarde pas et continue d’avancer, je lui prends la main. De toute façon, je le saurais tôt ou tard, ça changera quoi qu’on gagne quelques minutes de plus ? Elle ne serait pas venue si c’était si grave que ça. Elle s’arrête, prend une grande respiration et se lance.
« C’est ton père… il vient d’avoir un accident, quelqu’un lui a coupé la route et il s’est retrouvé dans un mur… » Je crois avoir mal entendu, ça ne peut être qu’une blague de mauvais goût, ce n’est pas possible autrement. Mais ma tante est tellement sérieuse, tellement triste que je la crois… les larmes commencent à me monter aux yeux.
« Non ! C’est pas possible ! Comment il va ? Est-ce qu’il est vivant ? » Il faut absolument que je le vois, que je m’assure qu’il est encore là, parmi nous.
« Son état est stable, mais comprends moi qu’il n’est pas sorti d’affaire Paul, il est dans le coma et les médecins ne savent pas quand il pourrait se réveiller… » Dans le coma… il y avait autant de chance qu’il se réveille que de chercher une aiguille dans une botte de foin…
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« Encore un café monsieur Lacroix ? » J’ouvre les yeux et regarde l’infirmière, un sourire gêné aux lèvres.
« Je me suis encore endormi n’est-ce pas ? » Elle se mit à rire.
« Oh oui ! Mais ne vous inquiétez pas, je suis sûr que votre père ne vous en voudra pas que vous partiez vous reposer un peu. Vous travaillez même beaucoup trop. » Dit-elle tout en regardant mon ordinateur et la pile de papier que j’avais éparpillé sur la petite table à côté de la fenêtre. Je suivis son regard, je ne pouvais pas m’en empêcher, quitte à faire mes dossiers pour mes cours de droit autant les faire tout en veillant mon père.
« Il n’y a pas de repos pour les braves comme on dit. » Je fis un petit clin d’œil à l’infirmière qui me sourit.
« C’est ce que je vois, en tout cas n’hésitez pas en cas de besoin, vous connaissez la maison. » Elle finit par partir. En effet, je commençais à bien connaître l’hôpital, cela faisait déjà 6 ans qu’il était dans cet état et nous n’avions jamais eu réellement gain de cause suite à son accident… la personne s’en était seulement tiré pour pas grand-chose au niveau de sa peine, ce qui nous avait grandement enragé avec ma tante. Je m’étais donc juré de travailler dur pour devenir avocat, de connaître tous les textes de lois par cœur pour ré ouvrir le dossier de mon père et rendre justice. Et les efforts finissent petit à petit par payer, rien n’était facile, mais j’allais l’obtenir ce diplôme! Il ne me reste plus qu’à trouver un stage dans un cabinet d’avocat pour le reste de mon année et tout serait parfait.
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« Monsieur ? Je peux vous parler ? » Je suis en pleine lecture d’un dossier important, je ne peux pas me permettre de perdre une minute de plus, surtout que j’ai prévu un gros dîner avec l’un de mes clients ce soir. Ça fait depuis peu que j'ai fini mes études mais j'ai déjà un planning serré. Je ne sais pas du tout ce que me veut mon assistante, mais depuis que je travaille ici, je ne l’ai jamais entendu, elle a toujours été d’une nature discrète et silencieuse, de plus c’était une femme compétente. Si elle voulait me parler, c’est qu’il y avait surement quelque chose d’important.
« Je vous en prie Mlle Dupont, asseyez-vous. » Elle hésite mais finit quand même par venir s’installer sur la chaise en face de moi.
« Alors que voulez-vous me dire ? » « Vous n’avez pas vu ma lettre ? » Je hausse un sourcil.
« De quelle lettre voulez-vous parler ? » « Celle de ma démission. Oh… vous ne l’avez pas lu n’est-ce pas ? » Je restais un peu surpris, pourquoi diable irait-elle démissionné ? Elle faisait un travail excellent ici, je n’ai jamais rien eu à lui reprocher, elle était même la femme la plus compétente que je n’ai jamais eu ici et elle voulait partir ?
« Non… mais pour quel motif voulez-vous nous quitter ? » Elle me regarde, l’air un peu vexé, et je ne vois pas pourquoi elle me regarde de cette façon.
« Vous voulez rire ? Vous ne vous souvenez de rien ? » Je fais non de la tête. Je ne vois pas en quoi j’aurais dû me souvenir de quoique ce soit.
« L’autre soir… on s’est rencontré au club, vous aviez même un peu trop bu. » Je tentais de me rappeler de la soirée mais il ne me semblait pas me souvenir du visage de mon employé dans mes conquêtes du soir même.
« Il ne me semble pas vous y avoir vu. »
« Et pourtant j’étais là, vous aviez même proposé de danser avec ma meilleure amie… vous savez que vous lui avez brisé le cœur ? Vous lui avez fait croire tout ce que vous vouliez en une soirée et vous l’avez laissé le lendemain, sans rien, même pas un mot d’excuse. » Ah oui ! Je me souviens de cette petite brune, très jolie d’ailleurs, elle n’avait eu que des yeux doux pour moi toute la soirée, alors j’y avais répondu avec délice. Et nous nous étions bien amusés d’ailleurs. Ce n’était pas méchant, j’étais juste comme ça c’est tout.
« Je n’aime pas vos manières monsieur Lacroix, vous êtes peut être un avocat hors pair mais en ce qui concerne les femmes, vous avez encore tout à apprendre. Je préfère encore m’en aller que de travailler avec vous. » Eh bien, c’était bien une première fois qu’une femme osait me parler sur ce ton, je pourrais facilement jouer de mes charmes pour la rendre douce comme un agneau mais ca risquerait d’être dangereux, surtout qu’elle avait déjà pris sa décision.
« C’est bien dommage, je comprends votre sens du devoir concernant votre amitié mais je suis comme ça, personne ne peut le changer. » *-*-*-*-*-*-*-*-*
En plein déjeuné d’affaire qui se termine, j’entends mon téléphone sonner.
« Vous m’excuserez, je dois répondre à cet appel. » J’accepte le coup de fil et je suis ravi d’entendre que Stéphane vient de me trouver une nouvelle assistante.
« Parfait ! Elle est compétente au moins ? Génial, j’espère qu’elle sera tout aussi doué qu’Elodie, en tout cas tu parleras d’elle en détail tout à l’heure, je vais revenir au cabinet. D’accord, à tout de suite. » Je raccroche et regarde mon client avant de lui dire au revoir poliment et de m’en aller pour retourner bosser. C’est quand j’entends une douce voix dire qu’elle est engagée que je tourne la tête. Apparemment cette jeune femme avait l’air tout excité d’avoir eu un job et comme elle était encore devant l’établissement du cabinet, je ne mis pas longtemps à faire le rapprochement, un sourire aux lèvres.
« Madame Dubois ? » Elle se retourne pour me faire face, avant de baisser son téléphone. C’était une très jolie femme, avec un charme qui rendrait fou tous les hommes présent dans la rue.
« Oui ? » Bingo ! J’en étais sûr que c’était elle. Je m’approche et lui tends ma main pour me présenter, je ne voulais pas qu’elle croit que j’étais en train de la draguer, ce que j’aurais fait habituellement si elle n’avait pas été engagé pour travailler pour moi.
« Monsieur Lacroix, je crois que vous allez travailler pour moi, c’est exact ? » Elle avait en tout cas une très bonne poigne, ce qui me fit sourire, voilà une fille qui devait avoir du caractère, nous allons très bien nous entendre.
« Oui c’est exact. » Stéphane avait fait du bon boulot, je ne sais pas combien de personne il avait vu avant de tomber sur cette fille mais j’avais déjà hâte de la voir au travail.
« Bienvenue dans l’équipe et je vous dis à lundi. » Sans lui laisser le temps de me dire quelque chose, je lui fis un sourire amical avant de partir, je lui avais accordé quelques minutes de mon temps malgré tout le travail que j’avais encore à faire. Heureusement qu’elle arriverait lundi.
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« Tu es sérieux ? Elle t’a vraiment devancé ? » Je venais de raconter à mon meilleur ami ce que m’avait fait mon assistante aujourd’hui, cela faisait déjà 2 ans qu’elle travaillait pour moi, 2 ans que je lui menais la vie dure, pour son propre bien, et le mien par la même occasion. Ne me demandez pas pourquoi mais j’aimais bien la voir si concentré, si énervé, on peut dire que cela m’amusait mais c’était une façon aussi pour moi de voir si elle tenait tant à son travail. Mon ancienne assistante n’avait pas voulu rester à cause de mon comportement envers les femmes à l’extérieur du travail, je voulais donc voir si elle avait suffisamment de caractère pour rester et travailler dur. De plus elle était sexy quand elle se mettait dans tous ses états, j'adore ça.
« Oui. Elle est arrivé ce matin, m’a donné un dossier que je lui avais demandé pour demain et après m’a demandé son après-midi de congé avant de s’en aller de mon bureau. » Il se mit à rire, ce qui, effectivement n’était pas vraiment partager de mon côté.
« Je te l’avais dit que tu finirais par le regretter à force de jouer avec le feu. Cette fille a plus de caractère que ton ancienne assistante, tu l’as cherché dès le départ, maintenant elle te coupe carrément l’herbe sous le pied. » Oui elle m’avait eu, elle avait tout planifié, tout comme il fallait, comme une parfaite assistante, tel que je l’attendais. Son travail était non seulement de qualité, mais en plus elle prenait l’initiative de s’avancer sans que je lui demande, du moins aujourd’hui et elle m’avait réellement surpris. Il y avait du changement dans l’air on dirait… et je ne savais toujours pas quoi en penser.